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Impacts écologiques: la réponse de l’huître à la présence de microparticules de plastiques

Dans le cadre du projet Preventing Plastic Pollution, et plus particulièrement la tâche « Impacts Ecologiques », l’Ifremer et le CNRS au sein du LEMAR réalisent des mesures physiologiques sur des bivalves marins en réponse à la présence de microparticules de plastiques.

Comment se nourrit une huître ?

L’huître est un bivalve marin, considéré comme un filtreur. Pour se nourrir, elle filtre l’eau de mer environnante au travers de ses branchies, un tissu ressemblant à un filet de pêche très fin qu’elle tend entre ses deux valves une fois entre-ouvertes. La circulation d’eau qui passe sur ces branchies permet de couvrir les besoins en oxygène de l’huître par la ventilation des surfaces respiratoires fortement vascularisées. Quant à la nutrition, elle se fait de deux manières, soit par absorption des substances dissoutes présentes dans l’eau de mer (matière organique dissoute), soit par ingestion des particules en suspension. Ces particules sont retenues à la surface des branchies, enrobées de mucus puis transportées, grâce aux cils branchiaux, vers la bouche où elles seront ingérées. Ainsi, l’huître recueille sur ses branchies toutes les particules d’une taille comprise entre quelques microns et quelques centaines de microns. Ce sont en premier lieu des micro-algues dont elle se nourrit, mais cela peut également être des particules de plastiques, qu’elle ne peut pas trier et qu’elle ingère en même temps que sa nourriture. La question des effets de ces particules de plastiques se pose alors immanquablement.

Un banc écophysiologique, kesako ?

Chercher à comprendre la réponse d’un animal aux contraintes de son environnement constitue une discipline scientifique intitulée « Ecophysiologie ». Pour mesurer cette réponse d’un bivalve marin comme l’huître, un appareil nommé « banc écophysiologique » a été construit au laboratoire. Il permet d’enregistrer de façon automatisée et régulière dans le temps un certain nombre de paramètres de l’environnement de l’huître (comme par exemple les concentrations en nourriture ou en oxygène dissous). Ces paramètres servent ensuite à estimer les principales fonctions biologiques individuelles que sont la respiration (qui traduit la dépense énergétique) et la prise alimentaire (qui témoigne des entrées énergétiques).

Cet outil a permis par exemple de mesurer et comprendre la réponse de l’huître en présence de micro-algues toxiques (https://doi.org/10.1016/j.toxicon.2017.12.050) ou d’agents pathogènes dans son environnement.

Dans le cadre de nos recherches, ce banc écophysiologie est composé de 9 enceintes identiques de 0,5 litre, dans lesquelles circule en continu et à débit constant de l’eau de mer, à laquelle un mélange d’algues est ajouté si besoin (pour nourrir les huîtres). Chaque enceinte contient un seul individu, à l’exception d’une enceinte vide qui sert de témoin (Figure 1). Les principaux paramètres de l’eau de mer, comme la température, la fluorescence, l’oxygène dissous, la salinité, le pH, sont mesurés en temps réel à la sortie de chaque enceinte grâce à une série d’électrovannes qui dirigent l’eau de mer vers un ensemble de capteurs ; le tout est piloté par une interface homme machine qui permet la visualisation et l’acquisition de données à haute fréquence (Figure 2).

C’est ce que nous avons testé dans le projet Preventing Plastic Pollution : la réponse de l’huître à la présence de microparticules de plastiques, notamment de particules de pneumatiques et de fibres synthétiques.

Pourquoi l’huître ?

C’est une espèce sentinelle de nos côtes françaises, très importante à la fois d’un point de vue économique et écologique. C’est une espèce ingénieure qui rend de nombreux services dans les écosystèmes côtiers (voir https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/huitre-temoin-littoral-a-preserver/).

Pourquoi des microparticules de pneumatiques ou des microfibres synthétiques ?

Dans la gamme des petits microplastiques ingérables par l’huître, elles sont considérées parmi les plus présentes sur les côtes européennes (https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/2017-002-Fr.pdf). Par exemple, chaque année, la conduite automobile génère 2,9 millions de tonnes de particules de pneus qui représentent 28 % des microplastiques de taille micrométrique rejetés dans l’océan. Ces particules peuvent provoquer des changements dans la physiologie de l’animal qui les a ingérés, de par leur présence physique, mais aussi par la libération de molécules chimiques comme les additifs, plastifiants ajoutés aux plastiques dès leur conception.

Et alors, quels effets de ces microparticules sur l’écophysiologie de l’huître ?

Nous avons ainsi pu montrer qu’en réponse aux contaminants chimiques relargués dans l’eau de mer par des morceaux de pneumatiques, de jeunes huîtres âgées de 8 mois réduisaient leur prise alimentaire environ de moitié et leur respiration de 16 %. Sur la base de ces résultats, le calcul d’un indice nommé « potentiel de croissance » qui renseigne sur l’état énergétique de l’animal, suggère une perturbation de plus de moitié de l’équilibre énergétique de l’animal par rapport à des huîtres témoins non exposées. De cet équilibre dépend l’énergie que l’animal peut investir dans ses fonctions de croissance et de reproduction. Les résultats que nous avons obtenus nous poussent donc à étudier les effets à long terme des produits chimiques libérés par les pneumatiques sur les huîtres, et en particulier ceux qui vont affecter les performances de croissance et de reproduction, possiblement dommageables pour l’espèce.

L’utilisation de cet outil écophysiologique révèle la pertinence et l’importance de mesurer les stratégies écophysiologiques à l’échelle individuelle d’un bivalve marin tel que l’huître, pour mieux expliquer comment les facteurs de l’environnement, et notamment les pollutions d’origine humaine, affectent les voies énergétiques de l’animal, et pour en déduire ensuite les répercussions sur sa physiologie.